Exonérations
« Pour quelle raison donnons-nous notre assentiment à une proposition quelconque? C’est qu’elle nous paraît être vraie. Donc à ce qui ne parait pas vrai, il est impossible de donner son assentiment. Pourquoi ? Parce que c’est la nature de notre pensée d’acquiescer au vrai et de ne pas agréer le faux, et en face de l’incertain, de suspendre le jugement. Quelle est la preuve de ceci ? « Aie l’impression, si tu le peux, qu’il fait nuit maintenant. » Ce n’est pas possible. « Ecarte l’impression qu’il fait jour. » Ce n’est pas possible. « Aie ou écarte l’impression que les astres sont en nombre pair. » Ce n’est pas possible. Donc, lorsqu’on donne son assentiment à l’erreur, sache qu’on ne voulait pas le faire, car « c’est toujours contre son gré qu’une âme est privée de la vérité », comme dit Platon, mais on a pris l’erreur pour la vérité. Eh bien ! Dans le domaine de l’action, qu’avons nous qui corresponde à ce qui est ici la vérité ou l’erreur ? Le devoir et le contraire du devoir, l’avantageux et le nuisible, ce qui me convient et ce qui ne me convient pas… et toutes choses semblables.
- On ne peut donc trouver une chose avantageuse sans la choisir ?
- On ne le peut
- Comment [Médée] peut-elle dire :
Oui, je sais tout le mal que je vais accomplir ;
Mais mon courroux, plus fort, a vaincu ma raison ! (Euripide, Médée)
- Parce que cela même, satisfaire son courroux et se venger de son époux, elle le regarde comme plus avantageux que de sauver ses enfants.
- Oui mais elle s’est trompée.
- Montre-lui clairement qu’elle s’est trompée et elle ne le fera pas. Tant que tu ne le lui auras pas montré, que peut elle suivre d’autre que l’apparence du vrai ? Rien. Pourquoi donc t’irriter contre elle parce qu’elle se trompe, la malheureuse, sur les sujets les plus graves, et que, d’être humain, elle s’est transformée en vipère ? Mais, s’il le faut absolument, ne dois-tu pas plutôt plaindre, comme nous plaignons les aveugles ou les boiteux, ceux dont les facultés essentielles sont aveuglées et mutilées ?
Quinconce a une claire conscience de ce fait que, pour l’homme, la mesure de toute action, c’est l’apparence (du reste, cette apparence est juste ou erronée. Si elle est juste, l’homme est irréprochable ; si elle est erronée, il en subit lui-même la peine, car il est impossible qu’un homme se trompe et qu’un autre en éprouve le dommage), qui donc a conscience de cela ne se mettra en colère contre personne, ne s’irritera contre personne, n’injuriera personne, ne blâmera personne, ne haïra, n’offensera personne. »
Epictète, Entretiens, Livre I
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