Tentative d’un hommage

Mais qui était il? Mais qui était il pour moi ? Peut être cette question sera plus correcte par rapport à la réponse. Après tout, comment pourrai-je savoir qui il était ?

Lorsque par hasard ou par volonté je me suis trouvé dans une école de journalisme, j’étais, comme je le suis toujours, sceptique envers tout ce que normalement on appelle media. D’autant plus, j’étais difficilement convaincu que la presse procure de l’information. L’information c’est autre chose, pensais-je. L’information ne se présente pas comme tel. Je me rappelle que ce qui me procurait une certaine motivation à poursuivre ce domaine, dans son aspect épistémologique, était rien autre que les éditoriaux de Joseph Samaha dans le quotidien libanais Assafir à l’époque.

Je me souviens aussi que lorsqu’il s’absentait, je me sentais toujours légèrement perdu, en manque de quelques mots.

Lorsque j’ai quitté le Liban pour venir à Amsterdam, le quotidien était mon seul rapport avec un pays difficilement compréhensible. Chaque soir a part le samedi, j’interrompais toute activité pour lire le nouvel éditorial dés que, vers 1h du matin, il apparaissait sur la page Internet. Je le lisais avant que le journal dans sa forme physique se retrouve dans les kiosques de la rue Hamra. Lorsqu’il a quitté Assafir, pour une période transitoire avant de lancer son nouveau journal Al akhbar, je me suis trouvé perdu encore une fois.

En été, je retournais au Liban, à Beyrouth, pour retrouver une guerre d’un mois sans un mot de Joseph Samaha. Ce n’était que le jour du cessez le feu que le nouveau journal Al akhbar apparu – la victoire était désormais double.

Je me souviens aussi que lorsque j’ai choisi mon sujet de doctorat, ce qui me procurait un fil conducteur à mes idées dans leur rapport politique n’était rien d’autre que les analyses approfondies de Joseph Samaha. Ce serai peut être une lecture non appropriée, ou bien qui ne reflète pas les intentions de l’auteur, mais après tout l’auteur est mort selon la réplique fameuse de Roland Barthes, et cette fois l’auteur est mort vraiment.

Ce qui distingue Joseph Samaha de tout autre journaliste arabe au moins, ce n’est ni courage, ni dévotion, ni moralité, mais raisonnement. Il est le seul journaliste, sinon il n’est guère journaliste. Joseph Samaha est ce que j’aime toujours l’appeler : un journaliste Foucauldien. Dans son analyse ce n’est pas l’événement comme tel qui supporte l’argument, ou bien la qualité « réaliste » de l’événement, plutôt c’est l’abstraction de l’événement en ses forces constituantes qui détermine la pertinence de l’argument.

Il était un des rares analystes qui ne se rapportent guère à la théorie de la conspiration pour justifier un manque de compréhension. Toute chose à une raison, et tout rapport est un rapport par intérêt, et tout intérêt est compréhensible.

Son analyse politique, ou ce qui peut même être appelé sa théorie politique se porte sur des fondements irréfutables au moins dans les méthodes et les stratégies discursives journalistiques et politiques. Une théorie fondée sur une base épistémologique, philosophique et morale ferme : un post-Hegelianisme léger, une relecture de Marx en termes postmodernes, une méthodologie d’analyse Foucauldienne et un esprit qui incarnait la dévotion académique d’Edward Said. Il était aussi engagé dans une cause Palestinienne de libération, Libanaise de créer un état, et Arabe d’engendrer une renaissance intellectuelle.

Ma tristesse est sûrement égoïste, comme toute tristesse peut être. Je ressens une angoisse et un regret. Qui me réconfortera lorsque les choses deviennent trop compliquées ? A qui pourrai je espérer présenter ma thèse une fois finie ? Ce n’est pas l’auteur seulement qui est mort, c’est aussi le lecteur.

Ce soir je n’attendrai pas le journal, désormais je lirais le journal le matin.