mercredi, novembre 08, 2006

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Le fondement même de la perception, la capacité d’un sujet à prendre conscience d’un phénomène est la conceptualisation de ce phénomène – de ce fait le langage. Conceptualisation implique mémoire. Mémoire implique temps. Néanmoins, le phénomène perçu n’est pas extérieur au sujet, ou bien en d’autres termes, n’appartient pas à un registre extérieur à la perception du sujet.

Le phénomène est une représentation dont la condition est le sujet, et ne peut exister sans le sujet de la perception. C’est ici que Schopenhauer exprime la relation, ou plutôt la non-relation sujet-objet. Telle relation ne peut être considérée ; elle est une présupposition fausse. Le monde n’est accessible au sujet que comme représentation. Cette présupposition – ou condition première – peut aisément induire une autre : Le monde n’est accessible qu’à travers le langage.

Ce que la perception traite comme objet, n’existe qu’en différance. C’est le fait qu’il est nommé qui, à priori, désigne l’absence de la chose nommée. Il ne peut y avoir chose dés lors qu’elle est nommée. La différance est dans ce cas un passé, qui ne peut être, et n’a jamais été, présent. C’est la condition première, c’est ce que Lacan désigne comme l’ « autre ». L’autre est l’objet de tout désir ; l’autre est une absence qui par vertu d’être ainsi devient la seule condition de la présence, ou de la conscience. En termes linguistiques l’autre est ce qui donne sens à un mot par différance. Il est par vertu de son absence.

Ce qui pour Schopenhauer constitue le sujet peut bien être assimilé à ce que Lacan appelle le langage. Le sujet de Schopenhauer est prisonnier de son caractère. Le sujet est aussi solitaire, il cherche l’autre sans jamais pouvoir l’atteindre, car l’autre ne peut exister qu’en représentation propre au sujet. L’accessibilité de l’autre n’est qu’une illusion. L’autre est donc toujours une illusion d’un autre, il n’est accessible qu’a travers la représentation et donc fait partie du sujet lui-même – par son absence il détermine le désir du sujet. C’est ceci qui exprime l’inévitabilité de la solitude. L’homme – ou le sujet – est un être, par nature, solitaire. Il est prisonnier de sa subjectivité, captif de sa faculté d’apperception, et assujettit par les limites du langage.

Cette absence, ou bien cette solitude intrinsèque de l’homme n’est dans son fondement qu’un attribut du langage. La solitude est le produit de l’incapacité du langage à transférer (ou traduire) l’absence de laquelle le langage dérive- en d’autres termes, le langage est incapable de dépasser son état de langage, sa structure de différance. Il est incapable de signifier au-delà de lui-même, il est incapable de signifier autre que lui-même. Et en termes intersubjectifs, il est incapable de se traduire. Le langage ne fait référence qu’à lui-même ; une mise en abyme inévitable et introvertie.

C’est ici que Wittgenstein se trouve utile ; apprendre un langage c’est aussi apprendre des lois et des systèmes et c’est à travers ces conventions qu’une forme limitée de communication puisse exister, sans pour autant atteindre un degré supérieur de signification. La signification ne se fait que dans le système et ne fait référence qu’au système lui-même. La chose-en-soi par contre est toujours inaccessible sinon inexistante – au moins pour le sujet logocentrique. Wittgenstein décrit un système intersubjectif ou la définition d’un jeu de langage est la seule possibilité d’établir une communication limitée entre deux sujets qui se conviennent à jouer ce jeu selon des règles prédéfinies. L’autre devient sujet dans la limite où il participe au même jeu, sans pour autant pouvoir dépasser les limites d’un certain jeu.

Pourtant la solitude persiste.


Peinture : Max Ernst, Arbre solitaire et arbres conjugaux