mardi, décembre 13, 2005

Cendrier


N’importe quel regard analytique à l’histoire et les conflits de pouvoir – et donc la politique – doit d’abord se distancer du regard narratif et médiatisé. Dans ce sens, pour définir ce qu’on veut dire par narratif ou médiatisé, c’est de voir les choses comme elles se présentent – les choses dans leur contexte émotionnel et esthétique.

Il est donc essentiel de porter un jugement mathématique – un jugement qui se livre uniquement à l’équilibre des forces dans le conflit interminable pour le pouvoir – n’importe sa forme.

Il n’existe pas de décision émotionnelle en matière de politique.

Il n’existe pas d’ennemi idéologique – mais uniquement des ennemis. Le changement que Habermas a remarqué et qui a eu lieu d’une sphère publique où une dialectique politique se déroule vers une sphère publique inscrite dans la sphère économique, et donc faisant partie intégrante du conflit au pouvoir, a été provoquée en partie par l’invention du journalisme qui a détruit la dialectique de la sphère publique et institutionnalisé une pratique d’expression opiniâtre qui se présente comme information et faits et devient un pouvoir qui cherche à se préserver comme tout pouvoir par définition.

La question n’est pas de savoir qui a commis un meurtre ou un attentat, chercher une « vérité » est impossible car il n y a pas de vérité – et si vérité il y a elle n’est certainement pas universelle et dés lors n’a aucune valeur inhérente ; elle est uniquement un aspect du conflit au pouvoir, de faire valoir sa vérité, sa narration ou simplement ses intérêts.

Le meurtre peut très bien être commis en accord entre la victime et le bourreau, un meurtre hyperréel, un meurtre où le plus grand gagnant est le mort, tout est une question de point de vue – les médias et à présent la politique est un point de vue. Lorsqu’on arrête de voir tout acte comme un acte stratégique ou tactique, on devient aveugle et prisonniers de la vérité narrée par les écrans et les pages et dés lors des bouches.

Il faut donc dénuder les pouvoirs en question jusqu’à avoir des vecteurs qui s’entrechoquent, se confondent et s’additionnent.

Un journaliste raté, un député parachuté, réduit à une tache de sang, de chaire et de débris de métaux dans une vallée industrielle, sa valeur réelle devient celle d’un symbole – dont le sens prend forme au fur et à mesure que la nécessité le prescrit. Voilà un mythe qui naquit, un « martyre » de la liberté – comme si tout homme politique qui meurt devient automatiquement une divinité terrestre, un symbole d’une cause.

J’allume une cigarette, la fumée qui se dégage a pour prix la cendre dans le cendrier. La tache de cendre humain sur les bords d’une route périphérique au Liban est le prix pour acheter un tribunal international, redonner vie à une carapace de forces en crise, (les forces de la démocratie sectaire, la démocratie fictive du « 14 mars ») et la restitution du mythe du mal absolu.

Lorsque le jeu de pouvoir change de terrain, le perdant doit toujours ramener le jeu dans un terrain privilégié – ceci est la base de toute stratégie, une base déjà décrite par Tsun Tzu dans son livre « l’art de la guerre » depuis quelques millénaires.

Dans le cas libanais : Il existe deux solutions possibles pour créer un tribunal international, la première c’est qu’un gouvernement local la demande, la deuxième, que le conseil de sécurité le fasse. Depuis quelques jours, la Russie a clairement affirmé qu’elle n’acceptera pas un tribunal international dans le conseil de sécurité – reste une seule possibilité, que le gouvernement libanais demande le tribunal - le terrain de jeu devient non privilégié pour des partis internes au Liban, vu que la possibilité que le gouvernement demande ce genre de tribunal présente des complications que la majorité parlementaire ne peut surmonter : le refus d’une partie majeur des autres puissances d’un tel tribunal, Aoun et Hezbollah notamment. Le besoin de nouvelles pressions devient irrévocable.

C’est en ce moment précis où les investigations connaissent des problèmes externes énormes, que le besoin de restituer le terrain de jeu au profit du camp majoritaire devient irrévocable – un prix doit être payé pour fumer une cigarette. Ce prix sera une tache de sang sur le bord d’une route, et des discours anciens-nouveaux qui retrouvent les oreilles de la masse qui n’a qu’a accepter passivement les avis publiques de quelques politiciens corrompus par force mais à présent transformés en saints potentiels.

Une question se pose : pourquoi au moment où le pouvoir syrien se trouve dans le meilleur état qu’il a connu depuis la mort de Hariri, et que les forces du « 14 mars » connaissent leur pire période, ce pouvoir Syrien serait il tellement déraisonnable et gratuitement suicidaire pour assassiner une figure si secondaire et sans aucune influence quelconque dans la politique libanaise ou régionale et se remettre dans la cage d’accusation ?

N’importe quel historien qui connaît le système Syrien connaît très bien que ce système a pu survivre pendant si longtemps uniquement à cause d’une vigilance à l’égard des décisions stratégiques, dont l’assassinat est un des chefs lieux. Il est facile à présent de créer la narration adéquate pour les buts requis. Créer une vérité n’est point une chose nouvelle.

Le fait qu’un homme soit l’ennemi d’un autre et que le premier meurt ne veut pas dire que le second l’a tué – au moins pas si simplement. C’est l’un des scénarios les plus classiques des romans d’Agatha Christie et des films policiers. Où est passé le doute ?

Depuis deux jours un attentat sur un des cadres du Hezbollah eu lieu à Baalbek, d’un point de vue purement stratégique on peut dire que le système sécuritaire libanais est en faillite et n’importe qui peut organiser un assassinat. Ce n’importe qui n’est pas uniquement Syrien, ni dans ce cas uniquement Israélien. Ce n’importe qui est inconnu.

Lorsque la guerre Espano-Américaine s’est déclenchée en 1898, la cause directe fut la destruction du cuirassé américain Maine. Les journaux de l’époque notamment les deux grands journaux de New York, accusèrent l’Espagne et demandèrent une guerre contre l’Espagne. La guerre qui suivit, sous le prétexte de libérer les colonies espagnoles et Cuba en particulier et bien sur se venger pour le cuirassé, se termina avec les Etats Unis devenant une puissance coloniale qui occupa les philippines, Cuba et plusieurs autres états de l’Amérique centrale et latine, avec des massacres dont le nombre des victimes reste un terrain de débat entre les historiens.

Plus tard, des recherches archéologiques effectuées sur le cuirassé Maine, prouvèrent que l’explosion du cuirassé n’était pas due à un sabotage espagnol mais à un accident dont les espagnols étaient innocents.

La guerre était réelle, les morts aussi, mais lorsque les archéologues ont découvert leur réalité, la vérité, il était déjà trop tard pour changer l’histoire – la vérité n’intéressait personne, c’était dans l’empire de l’histoire et des mensonges historiques qu’on découvre plus tard, tellement communs dans nos livres scolaires.

Le présent est toujours une partie de l’histoire. Dans quelques dizaines ou centaine d’années, lorsqu’une équipe d’archéologues fouillera dans les décombre du moyen orient et trouvera une vérité autre que celle d’aujourd’hui, personne des vivants aujourd’hui ne sera vivant et la vérité ne sera qu’un paragraphe dans un livre d’histoire universalisé.

Je ne regarde pas les faits, mais je regarde l’histoire. Le seul problème de l’humanité c’est qu’elle étudie l’histoire comme un temps révolu, comme des faits qui ont existés un jour et n’existent plus – l’histoire, un jour était au présent. Notre problème c’est que la notion du temps se résume au présent. Le présent n’est qu’un passé potentiel.

Je regarde le ridicule qu’on présente à la masse comme étant une déduction, une analyse, une série de suite logique, je ne sens pas de fureur, je ne sens pas de colère, je sens un mépris envers des masses de corps incapables d’analyse propre. Des yeux aveugles des oreilles sourds et des esprits décadents.

Voilà la démocratie comme l’avait décrite Edgar Allen Poe, le pouvoir d’une masse décadente et méprisable sur le sort de la société.

Combien c’est facile de créer des vérités, et de cultiver des opinions – la liberté n’est pas un drapeau et des mots impolies et accusateurs, la liberté est un exercice de pensée. En fait s’il y a un paysage de liberté, ce n’est pas un troupeau qui applaudit au mots parfumés d’anciens criminels de guerre, mais un homme ou une femme dans son milieu privé entrain de penser. La tyrannie, disait Levinas, n’existe que par l’accord du tyrannisé.

Que les troupeaux de cette terre défectueuse s’enivrent de démocratie et de liberté, que les masses de corps méprisables se saoulent d’illusions et de vérités. Si ceci est la démocratie, moi je crois à la tyrannie, je suis un ennemi de la liberté.

Peinture: Franz Von Stuck, Lucifer