Complément d’objet direct
C’est la 2006e année après la naissance estimée de Jésus, l’époque est celle que certains nomment numérique, d’autres celle de l’information et d’autres encore celle du simulacre. La technique a dépassé en partie l’être humain en force et en potentiel, des idéaux se sont infiltrés dans la conscience superficielle des « citoyens du monde », les droits de l’homme et le culte de la liberté et la démocratie annoncent une nouvelle religion qui se proclame l’ultime (comme toutes les autres). Pourtant, le paysage, le terrain, connaît le spectacle habituel et répétitif de la guerre, la violence et la gratuité. C’est académiquement reconnu que les conflits de pouvoirs sont à la base de tout rapport, et conflit n’est point une chose uniforme. Le discours chez Foucault est une forme de pouvoir qui circule dans le domaine social et peut s’allier à des stratégies de domination, mais aussi, naturellement, à celles de résistance.
2006 ans après la naissance du fils proclamé d’un Dieu proclamé, c’est avec le discours que les guerres se manifestent, tout en gardant un taux nécessaire de violence physique certainement. Les guerres religieuses se faisaient pour des discours, certainement avec un minimum de rhétorique nécessaire pour re-affirmer la vérité de chaque foie, croyance ou vérité et dé-montrer l’atrocité, la primitivité et l’in-humanisme de l’ « autre ».
Le discours prend, dés lors que le mot devient la chose et la seule vérité, une dimension différente. Ce qu’on peut attribuer à la société capitaliste, c’est le fait de donner aux mots une dimension illusoire, le mot représente un ultime, un fantasme et un idéal sans toutefois que le mot lui même ait une forme objective, ou un referant physique. Il est bien compréhensible de répondre oui si on est interrogé sur notre accord avec le droit de l’homme à la liberté par exemple, sans pourtant avoir une idée même si minime sur ce qu’un concept tel que la liberté peut signifier.
Bref, lorsqu’on établit un mot comme liberté comme but, ce n’est, dans le cas où on respecte le fait primaire que l’opinion ne peut être imposée comme savoir ou certitude, qu’affirmer le droit à la différence, ou bien, dans le cas où on tient une vision claire de la liberté et qu’on attribut l’universalité à cette opinion, ce n’est qu’imposer une opinion et donc une volonté de puissance classique mais dissimulée sous un slogan comme tout les autres (selon le même modèle religieux dogmatique).
Deux modes de discours définissent la perception actuelle de la réalité ou du monde en général, le journalisme et la diplomatie. Les deux termes portent un sens au delà de celui associé à la profession, le journalisme comme discours ne se limite pas au médias, mais c’est un mode de discours indépendant du médium qui le porte, de même pour la diplomatie qui ne se limite pas au dialogue entre les états mais comporte aussi le principe social de « political correctness » par exemple.
L’année 2006 après un événement qui, paraît-il, fut le début de l’histoire dans un sens ou un autre, la démocratie s’est re-établie dans la terre sainte, la liberté s’est, paraît-il, infiltrée dans les ruelles des peuples inférieurs et tyrannisés. La démocratie honore le démos. L’homme est bon par nature. Il est, dés lors qu’il baigne dans la liberté, contraint inéluctablement à s’investir sagement ou, du moins, conformément aux valeurs « civilisées » ; le choix est unique selon un principe de liberté qui se veut inévitable et ultime. C’est selon ces mêmes valeurs que le jugement se fera dans tout les cas. Finalement celui qui possède l’image de la liberté – et l’impose – doit par conséquence connaître sa forme requise, qui est dans ce cas sa forme à lui qui ne cherche dans l’ « autre » qu’un miroir néanmoins inférieur et gouvernable. Et donc, selon la règle du pouvoir, si jamais cette liberté est authentique et se réifie en une expression naturelle de l’ « autre » et qui, naturellement, se contredit avec ce que les valeurs de l’homme « libre » prescrivent selon sa formule précise, ceci n’est pas La liberté.
L’équation est simple, liberté (ou tout idéal discursif qui s’impose comme vérité) c’est l‘adhésion à l’image prescrite de la liberté par la force dominante, comme toute force dominante est censée faire, c’est d’adhérer à la narration dominante («dominant narrative » chez Edward Said). La liberté n’est qu’un choix uniforme, un choix paradoxalement unique. C’est ce même aveuglement qui est à la base de l’Orientalisme et qui se nourrit des tendances de supériorité, d’impérialisme et de violence et s’impose comme mission civilisatrice – ceci est la nature de toute puissance. C’est la fatalité du discours, l’agression du mot.
La démocratisation du monde arabe c’est son islamisation, sa transformation en camp anti-américain, c’est simple, mais c’est là que le dilemme apparaît pour les forces « démocratisantes » : comment démocratiser un démos tout en lui imposant le choix ? Le mot devient ainsi prophète et lance les armées du discours, la rhétorique se nourrit de sang. Désormais la guerre des mots commence.
Peinture: Rene Magritte, Le fils de l'homme