mardi, janvier 24, 2006

Corps et âme


Me voilà à présent en présence de cette créature imposante que certains nomment changement et d’autres, plus rigoureux, la volonté ou le choix. Puisque tout est contexte, je me permettrai de conclure que ce changement ou choix n’est qu’inévitable dans la mesure où « tout ce qui est possible arrive ; arrive n’est que ce qui est possible » (Kafka).

Moi même et mes mots faisons partie, même si minime, de l’Histoire et de mon histoire. C’est là que l’affranchissement et la rupture d’avec la représentation devient une nécessité pour toute connaissance digne de cet attribut. Mais cette rupture avec la représentation n’est qu’un paradoxe qui mérite d’être un jeu ou une énigme de logique. Et c’est justement là que s’articule l’impossibilité du savoir et la nécessité de sa recherche, fatale mais vitale selon les conventions de la pensée humaine dominante, ou l’hégémonie tel qu’elle est définie par Gramsci et plus tard par Saïd.

Puisque tout acte de d’expression se rapporte directement à la question d’identité, elle même souvent confondue avec la conscience de soi, l’expression se limite à l’élaboration des schémas narratifs sous diverses formes et formats pour exprimer cette identité avec tout le contexte tel qu’elle le perçoit et croit le connaître.

On peut méditer sur une question qui se dérobe à la certitude de l’incertitude ou l’impossibilité du savoir et qui s’interroge si l’impossibilité du savoir impliquerait la nécessité de la croyance (ou l’opinion). En d’autres termes on pourra reformuler ceci dans le contexte sociopolitique en évoquant l’engagement. L’engagement serai-t-il une nécessité intellectuelle dés lors que la logique exclut la possibilité du savoir ? Si la dialectique est utopique (nulle part) doit on se lancer dans la rhétorique ?

Cette question porte une face qui dépasse la raison pure et se nourrit d’un élément encore des plus humains et qui n’est autre que le « pathos » ou l’affect qui déterminent souvent l’action de la raison ou du moins sa trajectoire. L’homme n’étant pas (encore ?) « Libre » de son corps (toutes les religions monothéistes prêchent ceci à travers la dichotomie de corps et âme), la raison devient souvent (sinon toujours) le valet des pulsions déraisonnables. L’engagement est ultimement l’intellectualisation pragmatique d’une gouvernance raisonnable sur le corps, motivée par le corps [pour le corps].

Peinture : William Blake, Blasphemer

dimanche, janvier 22, 2006

Métaphysique de l’engagement


« Vote, n. The instrument and symbol of a freeman’s power to make a fool of himself and a wreck of his country. » Ambrose Bierce, The devil’s dictionary, 201.

“Criticism must think of itself as life-enhancing and constitutively opposed to every form of tyranny, domination and abuse; its social goals are non-coercive knowledge produced in the interests of human freedom.” Edward Said, The world, the text, and the critic, 29.

Devrai-je d’abord évoquer les idées précédentes sur le rôle de l’intellectuel dans la société et notamment dans le conflit de pouvoir, notamment la lettre de Noam Chomsky contre la guerre de Vietnam en 67 qui débuta sa carrière engagée ("The responsability of intellectuals" http://www.nybooks.com/articles/12172), ou les travaux d’Edward Said notamment dans son ouvrage « Representations of the intellectual ».

Le rôle de l’intellectuel s’entremêle souvent avec la représentation de l’autre et du conflit de pouvoir. La représentation est certainement à un grand degré l’œuvre d’une culture de masse où l’intellectuel trouve peut d’influence directe et instantanée. La culture de masse est directement liée au pouvoir préexistent, et donc, lorsqu’on considère, comme le propose Said, que la critique est d’abord opposition (oppositional), l’intellectuel se trouve, dans ce schéma simpliste, opposé a priori au courant principal de la culture de masse. En d’autres termes, la critique doit être dans un premier temps opposée au pouvoir.

Le conflit de forces dans un monde ‘démocratique’, au sens simple où le principe de gouvernance suit une démarche électorale, devient intimement lié à la représentation. Cette idée trouve ses racines dans les domaines de communication politique, de Media, de science politique, de droit, de sociologie, d’anthropologie et les domaines divers de la science de l’homme. Lorsque le vote devient le principe de pouvoir, le créateur des rois et des dieux, il n’est que naturel que la confrontation se retourne en partie vers ce demos qui devient en conséquence le terrain disputé. C’est là que la représentation prend son importance comme une arme adaptée aux nouvelles règles du conflit. La représentation est la seule connaissance que l’homme possède, le monde n’est il pas ma représentation ?

Ceci n’est pas nécessairement un astuce moderne ou postmoderne, les guerres de représentation sont abondante dans l’histoire pré-industrielle. A titre d’exemple, pendant les croisades la circulation de petits dessins qui représentent les musulmans comme des monstres inhumains était commune pour nourrir la croyance en cette guerre (mais ceci est une question entre autres et qui nécessite une recherche à part).

Bref, ce que notre société actuelle propose de nouveauté est peut être uniquement au niveau de la technologie, chose qui provoque naturellement une adaptation de la morale humaine (morale étant l’un des moteurs principaux qui dessinent la forme sous laquelle chaque société pratique la violence et subséquemment le pouvoir) aux nouveaux outils et aux nouvelles vérités adoptés – ou tout simplement, aux capacités et aux ressources.

L’idéal sociopolitique capitaliste transforme l’individu en consommateur, et lui donne le pouvoir du choix, en politique comme en économie (et aussi en société). Ce pouvoir de choix par contre est accompagné par un autre pouvoir qui est celui de la représentation (dont le conformisme est l’un des aspects). Ce pouvoir détermine en partie le premier et reste sous la charge du souverain. En d’autres termes les outils de représentation restent dans les mains de ceux que les consommateurs choisissent, des « élus ». Ce rapport trouve sa réification en économie par les oligarchies et les multinationales qui dominent non seulement les marchés mais aussi les médias, et en politique par l’accès aux médias et la gouvernance corrompue ou l’illusionnisme et l’addiction au pouvoir, ou par les guerres médiatiques et les non-évenments décrits entre autre par Baudrillard notamment dans « la guerre du golfe n’a pas eu lieu » qui analyse la première guerre du golfe et nombreux d’autre ouvrages (Deux articles qui résument légèrement la théorie de Baudrillard : http://www.egs.edu/faculty/baudrillard/baudrillard-integral-reality.html, http://www.egs.edu/faculty/baudrillard/baudrillard-simulacra-and-simulations.html)

Cette structure apparemment immuable, est l’aspect primaire que l’intellectuel doit opposer dans sa critique. Car ayant établi que les outils de la représentation sont sous les mains du pouvoir, le rôle de l’intellectuel serait de construire la base théorique pour réfuter la démarche appliquée et la priver d’arguments d’une part, et de pouvoir franchir les barrières stratégiques qui sont la cause de son exclusion de la culture dominante.

L’un des outils qui permettent à l’intellectuel de s’opposer au pouvoir est l’adoption d’un degré de pragmatisme, en articulant une critique de cette tradition des sciences humaines et de la philosophie, notamment chez Pierce, les modalités de la représentation peuvent être élucidées. D’autre part, c’est une recherche qui invoque ces modalités de représentation chez l’individu lui même et les modalités qui permette la création de l’identité (chez Lacan comme perception de soi, et chez Anderson comme identité politique) à partir de la perception du monde. Ces modalités le moteur de la croyance et des opinions et donc des choix de l’individu dans le système capitaliste démocratique.

Le monde est une représentation, et cette représentation est tout un schéma qui se rapporte intimement à la phase du miroir chez Lacan et la formation de l’illusion de l’identité et de l’unicité. Le rôle de l’intellectuel dans un monde où les grandes théories ont succombées sous l’impact de la postmodernité et l’impossibilité du savoir, est celui d’un stratège, qui manipule d’une part la compréhension systématique du pouvoir théorique préétabli et d’autre part l’adaptation d’une stratégie apte à détruire ce pouvoir pour un idéal moral supérieur.

Mais cette supériorité étant morale, n’est elle pas en conséquence relative et conventionnelle, un pouvoir semblable différemment à celui qui le précède ? Tout idéal n’est il pas ainsi dés lors qu’il s’empare du pouvoir et ce proclame supérieur ? Répondre à ces questions est un rôle, qui paradoxalement, appartient à l’intellectuel.

Peinture: Franz Von Stuck, Fighting fauns.

mercredi, janvier 18, 2006

Mouvement et forme


Lorsque la brume de l’ignorance s’évadera, un astre se montrera inaccessible, inclassable, inconnu et inébranlable. Lorsque la révolution bolchevique s’empara de l’empire russe, ce n’était certainement pas la révolution du peuple qui soudain et sans se rendre compte s’était réveillé d’un somme de plusieurs siècles. Lorsque les paysans devinrent souverains ce n’était pas par la force de l’ignorance, ou de la naïveté que leur ascension au pouvoir eu lieu.

Lorsque dans l’histoire humaine un désir d’idéalisme concret et palpable s’est planté dans les esprits des populations qui nageaient dans la pauvreté de la révolution industrielle et ses effets inhumains, le but n’était pas l’idéal, mais le désir lui même, le désir comme désir.

La révolution est l’acquisition de la volonté à prendre notre sort en main et d’assumer la responsabilité de ce sort. La révolution chez Marx est un acte de construction, ou bien, pourrai-je dire, un acte de destruction constructif. Le rêve adopté par la pensée critique et adaptée par les intellectuels de l’age de déclin de la révolution, n’est autre que ce même désir d’idéalisme, ce même désir du désir. La philosophie et plus généralement la science humaine ont toujours cherché une forme ou une autre pour affirmer le potentiel de sens ou de connaissance. En d’autres termes l’existence humaine est condamnée à chercher dans le monde de la pensée, ou des idées, un sens caché qui donnera raison d’être à l’homme, ce sens peut être le non-sens également. Ce fatalisme de l’idéal est un moteur pour l’illusion mais aussi pour la révolution.

La motivation qui se produit à partir de ce désir peut se traduire par le couronnement du plaisir et de l’immédiat sur la portée idéaliste et atemporelle et rarement du contraire. La première possibilité se rapporte au rapport de force et au système social assimilés au capitalisme moderne et plus récemment le néo-libéralisme économique. Dans ce schéma l’illusion est le moteur initial de la conscience sociale, l’idéal c’est la consommation et le plaisir momentané nourrit la volonté d’action. Dans le second cas, le désir est traduit par une illusion idéologique, la société qui se meut par ce mode est investie dans le refus de tout plaisir immédiat et l’institution des valeurs idéalistes. Le sujet n’est plus uniquement le but (même si dans le premier cas le sujet n’est le but que pour lui même mais pas pour la société) mais il est de même l’outil. Dans ce cas, la révolution est l’acte premier, et effectivement le processus de construction de cette révolution (car révolution est une œuvre) suit un schéma contraire a celui du mode capitaliste : l’éducation et la discipline de l’individu se font selon un mode idéaliste dialectique et non rhétorique.

Tandis que le mode immédiat privilégie l’individu écrasé par lui même, et ignorant par son propre choix, le mode idéaliste cherche à construire l’individu capable de savoir et de volonté.

Dans un monde comme le notre, l’illusion du mode capitaliste s’est imposée comme la forme unique de liberté et de justice, le mode révolutionnaire a échoué et les vainqueurs écrivent l’histoire. A présent la révolution devient farce, mais la conscience de classe fait partie des moteurs sociaux et au moment donné il est possible de reconstruire une révolution sur un nouveau modèle post-soviétique.

Le déclin ne peut être fatal, ou du moins c’est au moment ou on adhère à cette conclusion qu’elle devient vraie, qu’on l’impose.

Peinture: Rene Magritte, Le mal du pays