Attendre une station prochaine
Et puis des fois je voyais le temps venir : Une silhouette qui ne ressemble à nul autre qu’elle même ; un vide uniforme qui se précipite avec une lenteur ondulatoire. Il ne faut pas croire que la vitesse le déforme, le temps se vante de sa lenteur.
Et puis un jour il s’arrêta, et me fit des gestes à travers les distances. Je ne répondis point.
Lorsque le train produisit la première secousse qui précède habituellement son mouvement rectiligne continu, le soleil se trouvait juste à la limite d’un tronc d’arbre loin dans l’horizon. Il n y avait pas de mer, l’horizon était terrestre. Créature maritime que je suis, je me plaisais à observer cette invraisemblable surface immobile et sèche. Dans le wagon une fragrance d’inconscience concédait au matin naissant une allure nocturne.
Les voyages rectilignes ressemblent toujours à un trajet temporel, au schéma graphique de n’importe quelle vie. Etant écolier à l’age de la tendresse, je me souviens des frises chronologiques qui représentaient les temps anciens et les peuples révolus. Au dessus du tableau vert imprégné de taches blanches, une frise, fruit d’un jeune élève brillant et motivé, servait de témoin éternel - dans la limite du fini - à la linéarité du temps.
Le train traversait les vastes champs aplatis et le soleil pour lui tenir compagnie se levait doucement ; déjà il avait dépassé le sommet d’un arbre, peut être le même.
Inlassablement dans un wagon, il y a profusément d’histoires, beaucoup plus que dans un avion, ou du moins c’est ce que j’aime penser. La mienne, je la portais constamment avec moi, mais jamais ne l’ai-je autant ressentie que dans le trajet berçant d’un train.
Photo : Henri Cartier-Bresson, Arizona, 1947