« Vote, n. The instrument and symbol of a freeman’s power to make a fool of himself and a wreck of his country. » Ambrose Bierce, The devil’s dictionary, 201.
“Criticism must think of itself as life-enhancing and constitutively opposed to every form of tyranny, domination and abuse; its social goals are non-coercive knowledge produced in the interests of human freedom.” Edward Said, The world, the text, and the critic, 29.
Devrai-je d’abord évoquer les idées précédentes sur le rôle de l’intellectuel dans la société et notamment dans le conflit de pouvoir, notamment la lettre de Noam Chomsky contre la guerre de Vietnam en 67 qui débuta sa carrière engagée ("The responsability of intellectuals" http://www.nybooks.com/articles/12172), ou les travaux d’Edward Said notamment dans son ouvrage « Representations of the intellectual ».
Le rôle de l’intellectuel s’entremêle souvent avec la représentation de l’autre et du conflit de pouvoir. La représentation est certainement à un grand degré l’œuvre d’une culture de masse où l’intellectuel trouve peut d’influence directe et instantanée. La culture de masse est directement liée au pouvoir préexistent, et donc, lorsqu’on considère, comme le propose Said, que la critique est d’abord opposition (oppositional), l’intellectuel se trouve, dans ce schéma simpliste, opposé a priori au courant principal de la culture de masse. En d’autres termes, la critique doit être dans un premier temps opposée au pouvoir.
Le conflit de forces dans un monde ‘démocratique’, au sens simple où le principe de gouvernance suit une démarche électorale, devient intimement lié à la représentation. Cette idée trouve ses racines dans les domaines de communication politique, de Media, de science politique, de droit, de sociologie, d’anthropologie et les domaines divers de la science de l’homme. Lorsque le vote devient le principe de pouvoir, le créateur des rois et des dieux, il n’est que naturel que la confrontation se retourne en partie vers ce demos qui devient en conséquence le terrain disputé. C’est là que la représentation prend son importance comme une arme adaptée aux nouvelles règles du conflit. La représentation est la seule connaissance que l’homme possède, le monde n’est il pas ma représentation ?
Ceci n’est pas nécessairement un astuce moderne ou postmoderne, les guerres de représentation sont abondante dans l’histoire pré-industrielle. A titre d’exemple, pendant les croisades la circulation de petits dessins qui représentent les musulmans comme des monstres inhumains était commune pour nourrir la croyance en cette guerre (mais ceci est une question entre autres et qui nécessite une recherche à part).
Bref, ce que notre société actuelle propose de nouveauté est peut être uniquement au niveau de la technologie, chose qui provoque naturellement une adaptation de la morale humaine (morale étant l’un des moteurs principaux qui dessinent la forme sous laquelle chaque société pratique la violence et subséquemment le pouvoir) aux nouveaux outils et aux nouvelles vérités adoptés – ou tout simplement, aux capacités et aux ressources.
L’idéal sociopolitique capitaliste transforme l’individu en consommateur, et lui donne le pouvoir du choix, en politique comme en économie (et aussi en société). Ce pouvoir de choix par contre est accompagné par un autre pouvoir qui est celui de la représentation (dont le conformisme est l’un des aspects). Ce pouvoir détermine en partie le premier et reste sous la charge du souverain. En d’autres termes les outils de représentation restent dans les mains de ceux que les consommateurs choisissent, des « élus ». Ce rapport trouve sa réification en économie par les oligarchies et les multinationales qui dominent non seulement les marchés mais aussi les médias, et en politique par l’accès aux médias et la gouvernance corrompue ou l’illusionnisme et l’addiction au pouvoir, ou par les guerres médiatiques et les non-évenments décrits entre autre par Baudrillard notamment dans « la guerre du golfe n’a pas eu lieu » qui analyse la première guerre du golfe et nombreux d’autre ouvrages (Deux articles qui résument légèrement la théorie de Baudrillard : http://www.egs.edu/faculty/baudrillard/baudrillard-integral-reality.html, http://www.egs.edu/faculty/baudrillard/baudrillard-simulacra-and-simulations.html)
Cette structure apparemment immuable, est l’aspect primaire que l’intellectuel doit opposer dans sa critique. Car ayant établi que les outils de la représentation sont sous les mains du pouvoir, le rôle de l’intellectuel serait de construire la base théorique pour réfuter la démarche appliquée et la priver d’arguments d’une part, et de pouvoir franchir les barrières stratégiques qui sont la cause de son exclusion de la culture dominante.
L’un des outils qui permettent à l’intellectuel de s’opposer au pouvoir est l’adoption d’un degré de pragmatisme, en articulant une critique de cette tradition des sciences humaines et de la philosophie, notamment chez Pierce, les modalités de la représentation peuvent être élucidées. D’autre part, c’est une recherche qui invoque ces modalités de représentation chez l’individu lui même et les modalités qui permette la création de l’identité (chez Lacan comme perception de soi, et chez Anderson comme identité politique) à partir de la perception du monde. Ces modalités le moteur de la croyance et des opinions et donc des choix de l’individu dans le système capitaliste démocratique.
Le monde est une représentation, et cette représentation est tout un schéma qui se rapporte intimement à la phase du miroir chez Lacan et la formation de l’illusion de l’identité et de l’unicité. Le rôle de l’intellectuel dans un monde où les grandes théories ont succombées sous l’impact de la postmodernité et l’impossibilité du savoir, est celui d’un stratège, qui manipule d’une part la compréhension systématique du pouvoir théorique préétabli et d’autre part l’adaptation d’une stratégie apte à détruire ce pouvoir pour un idéal moral supérieur.
Mais cette supériorité étant morale, n’est elle pas en conséquence relative et conventionnelle, un pouvoir semblable différemment à celui qui le précède ? Tout idéal n’est il pas ainsi dés lors qu’il s’empare du pouvoir et ce proclame supérieur ? Répondre à ces questions est un rôle, qui paradoxalement, appartient à l’intellectuel.
Peinture: Franz Von Stuck, Fighting fauns.